En 2013, les «Tanguy» ces individus qui résident encore chez leurs parents après la fin de leurs études, sont frappés de plein fouet par la crise. Mais pas seulement…
Tanguy ,vous vous souvenez? En 2001, sous les traits d’Eric Berger, la France découvrait ce trentenaire, archi-diplômé, charmant… et vivant encore chez ses parents. Au-delà de l’objet cinématographique d’Étienne Chatillez ,c’est toute une génération qui a été dévoilée aux yeux du grand public. Celle de ces jeunes adultes qui, une fois diplômés, n’ont toujours pas quitté le domicile familial. En France, cette situation concernait 11,6% des 25 à 34 ans selon les dernières données d’Eurostat disponibles, soit en 2011. Ils étaient 8% en 2007.
«Les Tanguy sont une illusion d’optique», résume la sociologue Cécile Van de Velde, lors d’un débat organisé à ce sujet au Grand Palais le 7 octobre. «Ils sont rarement ceux associés à l’image du film, qui a fait beaucoup de mal aux jeunes générations que l’on moque lorsqu’ils restent chez leurs parents», avance-t-elle. Douze ans après la sortie du long-métrage, et autant d’enquêtes, études et analyses sur le sujet… Que se cache derrière la «génération Tanguy» aujourd’hui?
La crise retarde les départs…
L’expression recouvre des réalités bien différentes, selon les cas, les classes sociales et les localisations géographiques. Une certitude demeure pourtant, la crise et le rallongement des études retiennent encore les jeunes à la maison. Au dernier trimestre 2013, le taux de chômage des jeunes atteignait 24%. Un chiffre, certes, en deçà des 25% de l’année précédente, mais qui retarde encore leur départ.
Crise oblige, ces jeunes issus de la nouvelle génération se projettent moins loin que leurs aînés. D’ailleurs, une grande majorité estime déjà que la crise va affecter leur vie. Une incitation supplémentaire à rester chez papa et maman. «Les trentenaires et les quadras ont joué le jeu en investissant dans leurs études», explique Cécile Van de Velde. Or ces règles n’existent plus, le travail devenant de plus en plus incertain. Résultat, «aujourd’hui il y a une prise de distance des jeunes qui se demandent pourquoi investir dans des études lorsqu’ils peuvent créer leur propre chemin».
Rester au chaud dans le cocon familial peut permettre de lancer des projets sans courir un réel danger financier. Et parce que les portes de certains emplois se ferment, les jeunes préfèrent maintenant emprunter des chemins de traverse. «On constate actuellement que l’auto-entreprenariat marche très bien», cite à titre d’exemple, la sociologue.
…mais le cocon familial aussi
D’autres encore retardent le départ du nid familial, parce qu’il s’y plaisent tout simplement. «Quand on est petit on a déjà le droit à des bouts de monde. Un adolescent peut en partie avoir le sentiment que sa chambre est chez lui», indique le sociologue de la famille François de Singly. Certes les enfants restent dépendants mais ils ont acquis le sentiment d’avoir une certaine autonomie. Bref, un monde à part favorisé par une omniprésence des biens de consommation. Mais surtout une plus grande intimité liée à l’évolution des mœurs qui permet aux jeunes de vivre une seconde vie dans leur chambre.
«Ils ne sont pas forcément pressés de partir, parce qu’au fond si l’ambiance familiale est bonne elle n’est pas traumatisante», justifie le sociologue, avant de préciser que pour avoir leur intimité, les générations passées n’avaient pas d’autre choix que de partir au plus vite.
«Moi je viens d’une autre génération, où tu réussis lorsque tu pars de chez toi, et le plus tôt si possible», explique Catherine, mère de trois jeunes adultes. Mais les temps ont changé. «À l’issue de son master et de son stage, ma fille a été recrutée mais elle n’a pas du tout envie de partir, ça ne lui effleure même pas l’esprit», s’étonne la mère de famille. «Chez les copains et copines, même constat, tous vivent encore avec leurs parents parce qu’ils sont bien, et ne comprennent pas pourquoi il faut partir!».
Pas si mal vécu que ça
Cette nouvelle réalité contraste avec l’image du Tanguy, cloué sans ambition dans le canapé du salon familial. Dans une sorte d’inconscient collectif, dépeint comme un individu mi-enfant mi adulte, il ne parvient pas tant qu’il vit chez ses parents, à devenir adulte et à se responsabiliser. Aujourd’hui, ce portrait robot ne cadre plus avec ces jeunes qui peuvent trouver un espace pour devenir adulte au sein du cocon familial.
Certes, avec la crise, les jeunes n’ont donc souvent pas d’autres choix que de rester au bercail. Mais s’il est subi, il n’est pas forcément mal vécu. Ceux qui prolongent contre leur gré le séjour parental ne sont plus associés à une forme de dépendance vis à vis de leurs géniteurs. «Ils éprouvent à un moment, des difficultés à partir mais pas parce qu’ils se sont enfermés dans un cocon affectif», avance Cécile Van de Velde.
Selon elle, les relations ont évolué vers un autre stade, beaucoup plus équilibré, où parfois l’effet inverse se produit. Ce sont les parents qui dépendent de leurs enfants. «En milieu populaire par exemple, certains Tanguy qui habitent encore à 35 ans chez leurs parents, tiennent le rôle de maîtresse de maison, ils s’occupent de leurs parents qui sont au chômage, ou malades».